Cet article est illustré 9m², une série de photographies prises sur le campus de Luminy par Romane Iskaria.
[Inès est étudiante en architecture à l’ENSA-Marseille, qui se situe encore sur le site de Luminy]
“ Le campus de Luminy, contre toute attente, ne doit pas son nom aux Lumières qu’il héberge et à qui il offre les enseignements supérieurs de nombreuses disciplines.
Je suis entrée à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille en septembre 2015. C’est à ce moment-même que j’ai quitté la maison de mes parents pour une somptueuse chambre de 9,9m². Quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai découvert que la totalité du mobilier – à savoir un jeu d’étagères murales fixé le long du mur ainsi que la porte d’entrée – était d’une seule couleur : RGB 245, 103, 107, ce qui se rapproche d’un Pantone 178c. En d’autres termes, cette couleur était directement inspirée d’un pavé de saumon supérieur que vous dégusteriez dans votre meilleur Resto U. Néanmoins, dans mon malheur chromatique, je me permettais de relativiser au regard de ceux qui logeaient dans une chambre orange délavé ou pire, dans une chambre ocre délavé. Moi qui ai pour habitude (voire névrose) de préférer les pigments aseptisés et collectionne des objets blancs, noirs ou dérivés j’ai, avec le temps, appris à déceler et apprécier, parfois, ce que la lumière offre au bois compressé recouvert d’une chose rose collée dessus. J’estime avoir eu de la chance quant à l’emplacement du bâtiment que j’habitais.

Copyright : Romane Iskaria
Il faut savoir que parmi les grandes barres faussement corbuséennes, trois se situent à l’est du campus et trois autres à l’Ouest. Vous apprécierez cette fois-ci l’ordre colorimétrique du trinôme Est, composé de façades respectivement bleues, jaunes et vertes. J’ai toujours été assignée à l’est, orientée ouest ; donc géographiquement proche de mon école et par ailleurs, disposant d’une vue incomparable – sinon comparable à celle d’une autre chambre – sur le mont Puget. Le mont Puget, c’est le grandiose du décor. Ce rocher symbolise le principal (je ne dirai pas unique) avantage de cet illustre campus.
Vous n’êtes pas sans savoir que Luminy se situe aux portes du Parc national des Calanques. À mon sens, une telle proximité avec ce parc est une chance pour les personnes pratiquant le site. C’est un cadre méditerranéen où poussent maquis, cyprès et pins parasols, où les embruns d’iode sont portés par le mistral et dans lequel, durant les beaux jours, le jeudi soir, on s’enivre aux tables à coup de Captain Morgan ou de Jack Miel avant de se rendre à la Palmeraie ou aux Caves de Vaufrèges – pour une énième soirée étudiante. Dieux merci, par leur éloignement géographique, les Beaux-Arts et l’École d’Architecture sont relativement préservés de ce monde d’égarement scolaire et de musique commerciale. Les tables représentent plus ou moins le coeur spatial du campus. C’est une esplanade sur une petite butte, abritée elle aussi par des pins parasols. À l’image de l’Acropole, son sol permet de lier le Restaurant Universitaire, le TechnoSport et l’Hexagone (médiathèque). Au sud, on trouve les gymnases et le stade, au nor les bâtiments des facultés. Pour être honnête, cela m’aurait plu de faire plus de soirées aux tables et de rencontrer des personnes d’autres universités. Pour le peu de temps que j’ai passé là-bas, j’en garde de bons souvenirs. Vous comprendrez que mon expérience n’est sûrement pas des plus représentatives. D’après moi, les étudiants se situant sur la côte est du campus ne sont pas réellement imprégnés de cette vie luminienne. Pour les Beaux- Arts et l’École d’Architecture, ceci est, certes, dû au fait que leurs bâtiments se situent à l’extérieur du campus, mais aussi à cause (ou grâce) au rythme de vie/travail des étudiants qui est différent de celui que peuvent mener leurs compères en faculté. Ceci étant dit, cette question ne sera plus d’actualité d’ici quelques années ; du moins au regard des architectes puisque ces derniers s’apprêtent à troquer leurs pins parasols pour l’IMVT (Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires) actuellement en chantier à Saint-Charles. En effet, notre école déménage en ville. Quand on écoute les bruits de couloir, les avis divergent. Un sujet en entraînant un autre, il me faut poursuivre le détail des conditions géographiques de Luminy. Même si le neuvième arrondissement de Marseille nous parle de calanques, de plages et de cabanons, le campus est néanmoins éloigné de la ville. Pour des étudiants en architecture, habiter le pittoresque c’est bien mais pas suffisant.

Ma première année était la plus divertissante en tant que locataire de l’État. Un grand nombre de mes voisins de paliers étudiaient dans la même fac et moi j’appréciais avoir de la compagnie quand je rentrais. Le couloir, seuil direct de notre espace personnel et respectif duquel nous profitions au sein de cette grande ville, faisait office d’entrée, parfois de vestibule, de salon, de salle de jeu, de salle de fête. Il constituait l’extension de ma chambre comme sa première limite finie. La cuisine commune nous permettait de manger ensemble lorsque certains y installèrent une table (qu’on nous a rapidement retirée) et faisait du couloir une vraie colocation. En revanche, quand l’humeur n’y était pas, elle devenait traquenard et s’y rendre me faisait prendre le risque de croiser quelqu’un. L’extension du couloir, c’était l’escalier de secours – la terrasse. C’est un colimaçon maçonné, haut, peint en blanc, avec un poteau central et un garde-corps, un muret d’environ un mètre de haut. Ces escaliers me font encore penser à des ailettes ou des oreilles accolées aux bâtiments bleu, jaune et vert. L’escalier, c’était là où je faisais mes pauses pendant les charrettes ; là aussi où l’on discutait tard le soir. Enfin, le jeudi soir, après avoir accueilli sur son lino un grand nombre de personnes qui n’habitait pas ses chambres, le couloir se vidait au profit des tables. Il m’arrivait de faire apéro dans ce couloir et de les laisser se diriger là-bas, m’adonnant à mes études nocturnes ; et j’entendais la musique qui résonnait dans le coeur du campus. Je pourrais vous raconter que l’un de mes voisins/coloc avait entièrement recouvert sa chambre de gazon synthétique et qu’il nous avait fait des paillassons avec les chutes, ou qu’un autre avait gravé nos noms sur un pan de Placo (rose) du couloir, à la clé, et qu’à partir de quelques gravures s’est constitué un monument retraçant la liste de tous les illustres personnages de cette allée. Ma première année fut celle qui me laissa les seuls et meilleurs souvenirs en tant qu’habitante de Luminy.

Croquis de la chambre d’Inès
La deuxième année, j’ai eu le droit à la même chambre, à la même orientation, un étage en dessous, un bâtiment plus loin ; mais cette fois-ci mes étagères étaient jaunes. Ça me déplaisait moins. En revanche, je ne connaissais personne dans ce couloir. Je re-croisais parfois ceux de l’année précédente mais in fine, nous avons perdu contact. L’année suivante, j’ai franchi un cap dans l’échelle surfacique de la chambre U. J’ai obtenu une studette de 14,8m² dans le bâtiment B (le jaune), tout juste rénové. L’aménagement et la surface de la salle de bain étaient très corrects et je ne pouvais plus l’identifier à celle d’un camping-car. La cuisine-tte s’enfilait le long de la salle de bain ; autant dire que je ne fis plus aucun effort de sociabilité avec quiconque dans ce bâtiment. Je regrettais mes voisins de première année. Les murs étaient blancs, le mobilier motif bois, j’étais au quatrième étage, soit le dernier ; un vrai penthouse. Ma fenêtre se situait tellement haut par rapport au niveau du sol que les oiseaux se posaient sur la corniche du dessus ; c’était l’un des inconvénients, mais d’autres disaient que c’était la preuve que je vivais avec la nature. En quatrième année, je suis partie à l’étranger. Année de logement bonus, je vivais en ville. Vous vous direz qu’après tant d’amour pour les chambres universitaires, j’eus mis en place un stratagème pour vivre autre part. Que nenni ! Il fallait que cette histoire donne lieu à un accomplissement. C’est donc en septembre dernier que j’ai fièrement accédé à un T1 d’une superficie d’environ 20m², toujours côté est et toujours orienté ouest. Je vis désormais dans un CROUS de luxe. Permettez-moi de préciser que je suis au rez- de-chaussée. J’aperçois toujours le mont Puget mais j’ai le nez sur un parking. Ma chambre est la première à gauche de la sortie de secours, c’est plus pratique pour les pauses. Je ne néglige toujours pas l’accès privilégié au parc des calanques. Je n’ai pas appuyé ce point mais c’est un vrai plus pour ceux qui aiment courir ; ou ne serait-ce que pour prendre l’air. En quelques minutes, on passe de (vilains) bâtiments en bétons à un paysage époustouflant.


@ Photos prises par Inès
Cela fait désormais 5 ans que je suis nomade et dors la moitié de l’année chez des amis – le CROUS me doit la moitié de mes loyers. J’ai toujours sur moi une brosse-à-dent, un chargeur de téléphone et des affaires de rechange. Pourquoi ? Parce que si je souhaite sortir ou ne serait-ce que travailler chez un-e ami-e qui habite en ville – du moins dans un quartier qui héberge plus d’humains que de sangliers – il m’est impossible de rentrer chez moi en transports en commun puisque ceux-ci ne fonctionnent pas au-delà de 00h30 – et vous n’êtes pas sans savoir que les architectes travaillent relativement tard dans la nuit. À la rigueur, si la soirée s’achève à cinq ou six heures du matin, j’ai la possibilité de les utiliser (afin de faire preuve de bonne foi, je vous passe les détails de fréquence et de temps de trajet). Entre minuit trente et cinq heure, je ne rentre pas dormir chez moi. Je n’ai peut-être pas beaucoup de connaissances sur le campus mais j’ai de merveilleux amis en école d’architecture qui disposent tous d’un appartement en ville. Un jour, ils viendront visiter mon pied-à-terre à la campagne.

Copyright : Lisa Birgand
Malgré ma description dantesque, il faut préciser que ces logements proposent le meilleur rapport qualité-prix sur le marché du logement dans la région. Ils sont tous rénovés petit à petit et même si un certain nombre de services pourraient être améliorés, on y vit de manière très convenable. On y trouve aussi des dos-d’ânes d’exception, les plus remarquables de France. Mon point de vue n’est pas représentatif puisque comme précisé plus haut, j’ai l’impression que la vie étudiante à Luminy appartient plus aux facultés qu’aux écoles d’art et j’ai donc du mal à me sentir concernée par l’activité du campus. Le fait est que, par conséquent, nous ne connaissons pas beaucoup cette vie de communauté de l’enseignement supérieur. Ceci est aussi dû à des relations brouillées entre les gestions des facultés et des écoles (NB: jusqu’à présent, les facultés dépendent du MESRI tandis que les ENSA et les Écoles des Beaux-Arts du Ministère de la Culture). Au regard des manifestations et luttes auxquelles prennent part notamment les écoles d’architecture françaises mais aussi les corps universitaires à ce jour, je me demande si ces divergences de mode de vie auraient été si évidentes si les gestions étaient différentes. »
PS : J’aurais été curieuse de connaître l’âge bastidaire ou maraîcher de Luminie ou encore l’âge d’or du campus, quelques décennies auparavant.
Inès.