LONGCHAMP : DÉTAILS MONSTRES

Un article écrit par Léa Lefebvre et illustré par Maxime Buono (Well_born).

« Dès lors qu’il est pris en considération, le rapport de détail renouvelle toute une part de la problématique historique établie », Daniel Arasse – Le Détail, 1992.1

Au cœur de Marseille dans le 4e arrondissement, le Palais Longchamp, monumental, dénote. En souhaitant sortir de l’hyper-centre et des quartiers Sud, notre regard a buté sur l’architecture Second Empire de la fontaine du palais, l’omniprésence de l’eau et l’emplacement spécifique : au centre d’un quartier de pouvoir et de résistance, un parc à jonction, dans le quartier des Cinq Avenues comme lieu de circulation. Un monument classé (d)étonnant, qui illustre l’éclectisme d’une ville qui construit et reconstruit petit à petit, tant pis pour l’unité et la clarté. Si le diable se cache dans les détails, La Zone tente aujourd’hui d’éclairer ces derniers, dans un quartier où ils font partie intégrante de l’architecture. 

© Maxime Buono (Well_born)

Sécheresse en 1834, épidémies de choléra, la ville s’étend et manque d’eau. La solution ? Dévier la Durance pour la ramener à Marseille : 10 ans de travaux. Effort colossal qu’il faut célébrer, magnifier, souligner : il faut construire un palais, métaphore de cette arrivée triomphale. Le projet de château colossal d’Henri Espérandieu est choisi. Nîmois, il est celui qui a réalisé les travaux de Notre-Dame de la Garde. Inauguré en 1869, le Palais Longchamp incarne la puissance de Marseille et de sa municipalité : une esthétique et une monumentalité qui en jettent, en sublimant la fonction, pour impressionner Marseillais·es et étranger·es. 

© Maxime Buono (Well_born)

Statues, fontaines, jardin, zoo : tout scande la force de la ville et célèbre l’eau potable détournée. Œuvre du Marseillais Lequesne, qui a réalisé la Vierge à l’Enfant de Notre-Dame de la Garde, l’arc de triomphe mêle aux armes de Marseille sirènes et tritons, quand sa grotte artificielle aux statues aux yeux clos rappelle les eaux souterraines. La fontaine, par le Parisien Jules Cavelier, son char jaillissant des eaux vers la ville, tiré par des taureaux camarguais, incarne la Durance, aux statues figurant le blé, la vigne et la fécondité permise : l’abondance comme promesse. 

Pouvoir partout, surtout dans les détails. Pas de hasard dans les symboles et monuments érigés : tous glorifient les célébrités marseillaises, du peintre Monticelli à Frédéric Mistral. Marseille est grande, Marseille est puissante et Marseille le restera. 

© Maxime Buono (Well_born)

Autre symbole, l’implantation en 1864 d’un ambitieux observatoire au cœur du jardin, pourvu de ce qui sera décrit comme le plus grand télescope au monde. En 1856, c’est le zoo qui est construit, un des premiers de province, dont les 2450 animaux iront peupler le Muséum d’Histoire naturelle, cabinet de curiosité, une fois leur vie enfermée achevée. Le pavillon de la girafe, au style mauresque, appuie l’accent orientaliste du projet, une passion du Second Empire pour l’exotisme fantasmé et les voyages, en lien direct avec le colonialisme. Typiques de la période, les grottes artificielles et faux rochers en moellon, chaux et ciment s’imposent partout, symboles d’une nature transcendée. Le style rocaille, c’est l’art du décor d’illusion fin XIXe : faire oublier aux citadin·es l’environnement de la ville, en les transportant dans une nature factice, maîtrisée puisque imitée, mise en scène.

© Maxime Buono (Well_born)

La capitale, même lointaine, s’assure des échos à Longchamp. La maîtrise du détail s’affirme bien comme un « phénomène de culture » (Daniel Arasse)2, correspondant à un contexte socio-culturel précis. La Troisième République s’infiltre et s’impose partout. Du nom de la Place Sébastopol, écho au siège et à la victoire française de 1855, à la fontaine Wallace, symbole parisien et énième signe de la présence de l’eau, au cœur du parc, visible de toustes. Sous l’arc, deux plaques de marbre célèbrent les décisions jugées salutaires de Louis Philippe Ier et Napoléon III, face à la sécheresse marseillaise. Le quartier lui-même, aménagé et rénové autour de 1830 face à la pression de l’urbanisme, répond aux exigences hygiénistes et anti-révolutionnaires du parisien Haussmann, de circulation des flux, individus comme marchandises, air comme eau. 

© Maxime Buono (Well_born)

Longchamp maintenant. Le diagnostic historique produit en décembre 2022, dans le cadre des concertations et du plan de gestion du parc le présente bien comme « témoin de l’histoire de Marseille du XIXe », précieux et riche, mais déplore un « lieu relativement méconnu » au jardin au « visage dépouillé et délaissé ».3 Beau et monumental vers la ville, sur le boulevard Longchamp, le tram comme vitrine versus le parc derrière, abîmé et peu accessible. Suite au projet de 2008 d’en raser une partie en vue d’un parking souterrain, le zoo fermé en 1987 a été restauré pour MP2013 : ouverture du « Funny Zoo, un zoo fantastique » dont les animaux en fibre de verre sont, aujourd’hui, à leur tour abandonnés, comme la promenade ludique par QR codes obsolètes. 

© Maxime Buono (Well_born)

Pour suivre le travail de Maxime Buono : Well_born


Pour en savoir plus :

  1. Daniel Arasse, Le Détail, pour une histoire rapprochée de la peinture, Flammarion, 1992, p.9. ↩︎
  2. Daniel Arasse, Le Détail, pour une histoire rapprochée de la peinture, Flammarion, 1992, p.143. ↩︎
  3. Agence Jardins d’Histoire, Diagnostic historique : Parc de Longchamp Marseille, décembre 2022. ↩︎