LE PARC LONGCHAMP ET SES USAGER·ES
Un texte écrit par Lara Lemeur, designeuse d’objets.
À Marseille, le Palais Longchamp constitue un espace vert majeur en termes de portée symbolique au sein du quartier Longchamp, aux Cinq-Avenues. Il est intéressant d’analyser la façon dont cet espace vert interagit avec les citadin·es, et réciproquement. Comment cet espace aux multiples usages est-il intégré dans la vie du quartier ? Quelle expérience et quels usages offre-t-il à ses visiteur·euses, et comment sa forme et sa gestion induisent-ils des comportements spécifiques, si c’est le cas ?
Les espaces publics et notamment les espaces verts urbains sont en effet des lieux privilégiés de détente et de respiration au sein des villes, mais peuvent offrir différents degrés de liberté selon leur gestion et les aménagements qu’ils proposent. Comment les usager·es du Parc Longchamp s’approprient-iels cet espace ? Comment les aménagements paysagers et architecturaux influent-ils sur le comportement et la vie des citadin·es ? Quel est le degré de liberté dont bénéficient les visiteur·euses du Parc Longchamp ?
Inauguré en 1869, le Palais Longchamp est né d’un besoin d’étendre le réseau d’eau potable de Marseille. En effet, la ville s’est agrandie et a subi une crise sanitaire causée par une épidémie de choléra. L’emplacement d’un château d’eau pour desservir la cité avec les eaux de la Durance est donc choisi sur le plateau Longchamp. Il est composé d’un pavillon-château d’eau central, d’un Musée des Beaux-Arts dans l’aile gauche, du Museum d’histoire naturelle dans l’aile droite, d’un bassin et cascades à l’avant entourés de gazon, d’un jardin botanique, d’un parc avec observatoire, et d’un ancien parc zoologique à l’arrière.
Classé monument historique, le parc Longchamp s’inscrit dans l’histoire de Marseille de façon institutionnelle et immuable. C’est un espace public géré par la ville de Marseille. Comme l’indique un panneau à l’entrée, toute manifestation, quelle qu’en soit la nature, doit être accordée par le maire. La double entrée est grande et majestueuse. Visible depuis le bas du boulevard Longchamp, elle surplombe fièrement la ville. On est invité à parcourir le décor ostentatoire du parc. L’entente entre Espérandieu, l’architecte du palais, et les décorateurs (peintres et sculpteurs) se constate dans l’harmonie manifeste entre les volumes architecturaux du Palais Longchamp et ses ornements. L’élaboration du programme iconographique a également été imaginée par Espérandieu. La glorification des hommes célèbres et des grands événements occupe une place majeure dans ce siècle. Il semble y avoir une volonté des institutions de livrer un message de grandeur à leur contemporains et à la postérité. L’engagement psychologique du visiteur vis-à-vis du site est induit également par ses reliefs et ses cheminements. En effet, dès l’entrée principale du parc, on se retrouve en pente montante. Après avoir gravi les marches de l’impressionnant escalier, on est ébloui·e par le point de vue que la haut de la cascade offre sur la ville.
Arrivé·e en hauteur, le jardin du plateau invite à la pause avec ses fontaines à boire de style art déco et sa buvette. En redescendant derrière le square, on accède au jardin zoologique. S’y trouvent différentes aires de détente et de jeux pour enfants, un kiosque à musique, les cages ornées de céramique ou de peintures naïves, la volière… qui témoignent du passé de l’ancien zoo. Aujourd’hui des animaux sculptés en fibre de verre ont remplacé les vrais. À l’intérieur, les cages ont subi une certaine dégradation : des détritus traînent çà et là, quelques sculptures sont recouvertes de graffitis, d’autres sont cassées. Bien que des agent·es surveillent le lieu, il n’échappe donc pas au vandalisme. L’entretien des cages semble tout de même avoir été laissé à l’abandon par la municipalité.
Ainsi le parc se présente comme un musée à ciel ouvert, ses espaces verts et ses reliefs forment un écrin qui viennent magnifier l’architecture présente. Le·a visiteur·ice parcourt une scénographie poussant à la curiosité et à l’observation d’un lieu qui impose son histoire. Pourtant, on trouve une grande mixité sociale et d’usages au sein du parc. Chacun·e semble venir pour une raison qui lui est propre. Certain·es visitent de façon attentive, prennent des photos, d’autres choisissent un coin plus à l’abri des regards pour trouver le calme. Des groupes d’étudiant·es révisent ensemble, des dames âgées échangent sur un banc, un cours collectif de yoga se déroule à côté d’une aire de jeux ou les enfants jouent au toboggan. Des sans-abri solitaires sont assis une canette à la main, des jeunes écoutent du rap et fument en bande. Les corps se mêlent à l’architecture : certain·es se lovent dans les bas reliefs des escaliers pour prendre le soleil ou lire, un couple s’assoit sur la rambarde des allées à colonnades, les pieds dans le vide. La grandiloquence peut paraître par bien des aspects en décalage avec les problématiques actuelles de Marseille. Pourtant, l’usage qu’il en est fait n’est pas élitiste. Sa superficie et la diversité de ses zones entraînent une mixité sociale, d’usages et de pratiques. Il devient une œuvre que chacun·e est libre d’interroger, dont on peut faire partie à sa manière, si tant est qu’on en respecte les aménagements.
En ce qui concerne les restrictions, un panneau à l’entrée indique entre autres que toute activité commerciale, toute manifestation culturelle, sportive, religieuse etc… sont interdites sans l’accord du maire. Le parc accueille chaque année le Festival de Jazz des Cinq Continents. Soutenu par la mairie, il montre une volonté de faire rayonner Marseille sur le plan international, par la diffusion d’un art peu représentatif de la culture locale. Le Parc Longchamp reste donc par certains égards une vitrine « touristique ». La présence du Musée des Beaux-Arts ainsi que le Muséum d’histoire naturelle au sein d’un parc public n’est pas anodine. Elle invite tout type de population, notamment parmi les visiteur·ices du parc, à s’intéresser à la culture.
Le Parc Longchamp impose sa force esthétique et historique, mais sa superficie et ses aménagements offrent de nombreuses possibilités d’appropriation. On peut également décider de s’y rendre sans vraiment se sentir impliqué psychologiquement par ce qui nous entoure. L’expérience proposée par le Parc Lonchamp à ses visiteur·ices diffère ainsi fortement avec celle que peut livrer un jardin moins institutionnel avec une gestion semi-privée comme le jardin Levat, situé à une quinzaine de minutes à pied.













